Page précédente Imprimer

28 janvier 2003 | Le Figaro
Le français à sa place !

Les assertions sur le brevet européen appellent d'abord un rétablissement de la vérité, ensuite un vigoureux plaidoyer en faveur de la ratification de «l'Accord de Londres», tant pour la défense de notre économie que pour celle de notre langue.

Tout d'abord, il faut rappeler que l'Accord de Londres maintient le trilinguisme de l'Office Européen des Brevets, où le français a sa place comme langue de procédure à égalité avec l'anglais et l'allemand. Il maintient aussi l'obligation de traduire dans chacune de ces trois langues les «revendications» du brevet, lesquelles constituent en fait la définition juridique du monopole accordé au breveté. De plus, il laisse ouverte la possibilité pour un Etat signataire d'imposer à chaque partie de fournir à l'autre la traduction des brevets qu'elle invoque en cas de contentieux.

La suppression de la traduction en français est donc relative. Symétriquement, les brevets européens déposés en français ne sont pas systématiquement traduits dans les autres langues, au moins dans les pays germanophones ou anglophones, ce qui confirme le rôle du français comme langue internationale. Il faut souligner à ce sujet que cette solution constitue une chance ultime pour maintenir ce rôle, alors que la solution du «tout anglais» envisagée au départ avait la préférence d'une majorité d'Etats et a bien failli être adoptée.

Si les Etats qui déposent le plus de brevets en Europe en sont venus à cet Accord, c'est bien avec l'objectif de relancer l'innovation en réduisant considérablement le coût du Brevet Européen. Celui-ci est exorbitant, il a été estimé à 21 000 €, dont 40% du aux traductions pour un brevet moyen de 20 pages environ et désignant 8 Etats avec 6 langues. Or un ressortissant américain obtient, aux USA, qui représentent un marché sensiblement équivalent, un brevet américain à un coût 4 à 5 fois inférieur.

Cette distorsion désavantage considérablement l'Europe car un innovateur protège et investit en priorité sur son propre marché, avant de s'attaquer aux autres continents. Aussi beaucoup d'inventeurs indépendants, de PME et même de grandes entreprises renoncent en Europe à une protection internationale, se contentant d'un marché national beaucoup plus limité et donnant moins d'essor à leurs projets. Quant à l'affirmation, imputée à la revue The Economist, que le brevet américain serait le plus cher du monde, elle laisse rêveur... Cet article parle en fait du système entier des brevets, qui comporte aussi la défense des droits du breveté en justice («enforcement»), effectivement très onéreuse aux USA, mais aussi très efficace. Tous les professionnels de la Propriété Industrielle savent bien que la seule obtention d'un brevet aux USA est à la fois beaucoup plus rapide et moins coûteuse qu'en Europe.

Par ailleurs, ce coût exorbitant du brevet européen pénalise encore bien plus les petits déposants que les multinationales, qui ont plus de ressources financières. Ce ne sont donc pas ces dernières qui demandent le plus l'abandon des traductions mais au contraire les PME et les Inventeurs Indépendants. Même si ces derniers ont souvent du mal à exploiter des brevets en anglais ou en allemand, ils préfèrent de loin, dans leur grande majorité, payer beaucoup moins cher le brevet européen plutôt que d'avoir des traductions systématiques.

Il faut enfin considérer les aspects suivants : 2% seulement des traductions en français des brevets européens déposés en anglais ou en allemand sont consultées à l'INPI, ce qui confirme bien le coté inutile du système actuel.

Beaucoup d'innovateurs sont pratiquement obligés d'étudier des documents en langue étrangère, notamment pour vérifier la nouveauté de leur invention. Ils ont donc une certaine pratique au moins de l'anglais écrit et préfèrent souvent se référer au texte original d'un brevet qui d'ailleurs seul fait foi en cas de litige.

Enfin, il convient de préparer une solution linguistique viable pour le Brevet Communautaire tant attendu dans l'Union Européenne, qui va bientôt passer de 11 à 19 langues.

En conclusion, notre Fédération Nationale des Associations Françaises d'Inventeurs (FNAFI), ainsi d'ailleurs que la CGPME et le MEDEF, soutient vivement l'accord de Londres à la fois pour la défense de la place internationale du français et pour la relance de l'innovation dont l'Europe a grandement besoin. Il serait regrettable que les intérêts corporatistes à très court terme de quelques centaines de professionnels Avocats spécialisés, Traducteurs et Conseils l'emportent sur celui des innovateurs beaucoup plus nombreux et aptes à créer des emplois.

Georges de MONESTROL
Président de la Fédération nationale
des associations françaises d'inventeurs.

Haut de la page